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L'absolu systématique
6 février 2018

Grillage de lecture

On peut concevoir la réalité perçue comme le résultat de l’élaboration d’informations tout au long d’un cheminement les faisant passer par divers filtres perceptifs, depuis les organes des sens jusqu’aux diverses zones cérébrales. Ces filtres forment ainsi une grille d’interprétation des événements couplée à des schémas de comportements, le tout opérant à des niveaux de complexité allant du stimulus-réflexe aux comportements les plus raffinés. Cette construction par étage n’est pas à l’abri d’un effondrement, de régressions, de rétrécissements. En effet, comme tout appareil, ce merveilleux instrument d’adaptation est susceptible de disfonctionnements, au point de faire douter de la réalité elle-même. Mais le danger qui le guette le plus souvent tient au contraire à sa force de persuasion qui tend à le figer dans une vision du monde fatalement à un moment donné obsolète.

Sans stéréotypes, sans idées préconçues, théories implicites et autres postulats plus ou moins fondamentaux, le monde manquerait de stabilité, serait trop déroutant, proprement aberrant à notre entendement. Sans une base de présupposés qui ne se discutent pas les interactions humaines poseraient problème. Même lorsqu’il s’agit de contester certains a priori, c’est en s’appuyant de façon parfois inavouée (autant qu’inavouable), sur d’autres sous-entendus. Toutefois, dans son incessante recherche de pertinence, l’appareil cognitif a normalement à sa disposition plus d’un outil d’investigation. Leur coordination pallie leur imperfection constitutive.

Dans une simple conversation, par exemple, interviennent en plus du code de la langue, des conventions langagières et d’un savoir commun encyclopédique, d’autres sources d’informations dont les interlocuteurs tiennent compte de façon subliminale, comme tout ce qui appartient au domaine infra-linguistique ou non-verbal (gestuelle, ton, prosodie…). Tout cela mis en regard du contexte donne une idée de la richesse de la communication humaine qui apparaît comme une amplification à l’échelle supérieure de la communication animale.

Cette explosion sémiotique et sémantique ne change rien à la réalité du monde, au référent des signes. Mais cela affine à tel point la réception qu’on en a, que le monde peut sembler incroyablement variable selon les époques et les cultures ; ce qui conduit à un relativisme dévastateur de convictions, ravageur d’absolu ; tout du moins à l’affaiblissement, à l’ébranlement des idéaux. Le “Crépuscule des idoles” semble bien être un passage obligé dans l’histoire de la modernité en marche, l’ombre de son “désenchantement”. Doit-on y voir pour autant, comme les plus pessimistes, un prélude à la décadence, confirmé par la propagation d’une détresse morale et psychique, ou plus modérément les signes du difficile accouchement d’un niveau de conscience supérieur ? Quoi qu’il en soit, la diversité des points de vue appelle une grille d’interprétation capable de les intégrer tous en expliquant le paradoxe de leurs désagréables divergences.

Le processus inférentiel qui bâtit sans arrêt des hypothèses sur le monde, tel un moteur de recherche, se nourrit de critères, tout en redoutant l’indigestion. Les grilles explicatives (ces ensembles de repères et de valeurs que l’individu hérite de son éducation), pour optimiser leur pouvoir adaptatif, ne peuvent pas tout expliquer une fois pour toutes. Il leur faut présenter une plasticité qui les rende sensible à l’expérience. Elles ne doivent pas avoir la directivité pratiquement intransigeante avec laquelle le code génétique commande au soubassement animal. Leur incomplétude est justement le prix de leur souplesse, de même que la non-spécialisation garantit une plus grande potentialité. Même si la virtualité traîne une connotation d’évanescence, d’imaginaire et de mirage, elle est le risque à prendre en toute initiative.

De manière générale, chacun cherche à saisir la cohérence d’un univers qui semble suivre la pente fatale de l’entropie pour y trouver le temps de mieux la nier. Des structures moléculaires aux structures mentales, dans sa quête l’univers se comporte en cela à la façon d’un alchimiste dialecticien malgré lui. Alliant les forces opposées, les élans expansionnistes et les pulsions conservatrices, il multiplie les boucles rétroactives, les auto-perceptions, et par conséquent les niveaux d’intégration. L’esprit humain serait une de ses tentatives hasardeuses pour faire “bourgeonner” cette complexité, un fer de lance de son autoreprésentation. Bien sûr, une telle vision, que l’on peut qualifier d’immanentiste, pêche nettement par anthropomorphisme, mais une conception dualiste qui mettrait notre destin hors du projet du monde, éventuellement entre les mains d’une divinité à la fois omnipotente et transcendante, parfait alibi à un narcissisme mal assumé, n’est-elle pas autrement arrogante ?

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