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L'absolu systématique
6 février 2018

On l’appelle destin

Bien qu’elle ne soit pas indispensable à la vie, la finalité paraît incontournable lorsqu’il s’agit de l’expliquer ou de la comprendre. Si les comètes n’ont pas besoin de “pourquoi” pour filer dans l’espace, la question s’impose devant les comportements et les fonctions complexes propres au niveau biologique. Plus encore au niveau humain, où elle fonde cet espace virtuel essentiel à l’individualité, à la subjectivité, à ces états mentaux censés être à l’origine de nos actes. Le besoin d’établir des responsabilités implique l’existence d’une entité intérieure, un sujet capable d’intentions, de libre arbitre, que l’on puisse légitimement valoriser ou stigmatiser, selon la morale du temps. C’est sans doute une peur ancestrale du chaos et du vide, qui pousse ainsi à hypostasier, à attribuer un esprit même aux étoiles.

Se découvrir des fins aux actions propres est une caractéristique de l’être humain socialisé. C’est ainsi que se rencontrent le fond inné de son monde intérieur avec l’univers culturel dans un processus continuel de création pratiquement magique de la réalité au moyen de ce qu’il considère comme ses intentions. Ces dernières sont clairement les produits d’un raffinement des émotions, sans lesquelles on voit mal où la rationalité et le bon sens trouveraient leur légitimité vitale. La force de l’illusion sur laquelle repose l’univers des apparences et des artifices se trouve donc dans notre nature animale. C’est pourquoi on peut se croire en droit de prêter aux bêtes elles-mêmes des intentions analogues aux nôtres, mais qu’elles n’ont pas les moyens de concrétiser. Evidemment le côté abusif de cet animisme saute aux yeux lorsqu’on remarque déjà la difficulté que rencontrent nos plus proches cousins les singes à acquérir les savoir-faire les plus rudimentaires et à communiquer de la pensée.

Néanmoins, si la vie sauvage ne semble pas fournir les moyens qui permettent l’élaboration de desseins sophistiqués, on ne lui contestera pas la faculté de transmettre des intentions primaires ancrées dans le code génétique de chaque phénotype qui traduit ainsi la volonté de conservation et de reproduction de son espèce.

On peut dire qu’en cela les animaux sont les êtres les plus fidèles à eux-mêmes. Sauf après domestication, ils trompent rarement sur leurs désirs et besoins. L’ambivalence et l’équivoque sont des aspects typiques des relations humaines faites d’implicite et de sous-entendus, où le langage est devenu créateur de réalité. Comment s’en plaindre, puisqu’il s’agit là d’une de ces merveilleuses licences de la poésie.

Mais comme toute réalité, les formes culturelles tendent à se figer, à s’éroder et à laisser place à une suivante. Sous le jeu des conventions, dont les hommes s’escriment à défendre la légitimité parfois jusqu’à en nier le caractère évanescent, et à laquelle ils se raccrochent dérisoirement, une autre génération puisera un nouveau visage de la réalité, y reconnaissant l’expression renouvelée de la plus profonde finalité, du véritable sens de la vie.

Cette quête fiévreuse de la finalité est bien le propre de l’homme, et débute dans le creuset de sa prématurité. L’idée même commence sans doute à prendre forme dans la rencontre avec le sein maternel : lorsque, par une sorte de magie autoréalisante, le fantasme entre dans la réalité et donne un sens aux activités innées.

Il est manifestement essentiel à son développement que le nourrisson (puis l’enfant et l’adulte, chez qui cela revêt un caractère d’évidence) s’approprie ses pulsions comme autant d’intentions, et puisse ainsi s’introduire dans le commerce de ses congénères en apprenant à les communiquer comme des propriétés univoques de son moi. C’est ici que s’invitent la morale et les “promesses de bonheur”. Or, la vertu des origines est impitoyable et insouciante des résultats. Elle est reconnaissable dans l’agressivité et l’égoïsme normal du nourrisson. Pour rendre ses états internes communicables, il se doit de les travestir à la mode de son temps, en s’accommodant aux traditions, de sorte qu’ils se raffinent, qu’ils se civilisent sans perdre pour autant leur ancrage dans l’animalité. Cela donne lieu à toute une variété de compromis plus ou moins névrotiques, plus ou moins hypocrites, dont la politesse et le savoir-vivre offrent de savoureux exemples.

Compte tenu de ce saut de complexité qui place l’être humain à un niveau qu’il ne peut que tenir pour supérieur à l’animal, il tendra à s’assigner une finalité pareillement supérieure. Il ne saurait décemment se réduire lui-même à ce qu’il entend dominer et exploiter en qualité de moyen de subsistance, de force de utilitaire ou d’objet de récréation. Notons qu’il se permet facilement une infraction à cette règle à la seule condition d’avoir préalablement exclu son prochain du cercle sacré et plus ou moins tolérant selon les époques de son humanité. Il existe de même une répugnance normale à se comporter en général envers le vivant avec le même égard qu’envers la matière inerte. Mais là aussi les exceptions sont inévitables, sauf à refuser de se nourrir.

Nous trouvons donc une hiérarchie des êtres naturellement respectée, mais non pas imperméable, correspondant à des degrés de complexité, dont l’homme s’est autoproclamé le sommet. Or, d’où lui viendrait cette autorité sinon d’un degré supérieur, transcendant et intangible ? Une volonté dont ses propres intentions ne seraient que les mesquins reflets… Il croit pouvoir la discerner et la cristalliser dans ses constructions mentales, et parfois même confirmer ses manifestations en images et en paroles. Mais à peine a-t-il pu lui donner un visage que le masque tombe et le rappelle à l’indicible.

Tout compte fait, si finalité supérieure il y a, elle ne saute aux yeux qu’à considérer les existences rétrospectivement, en les faisant entrer dans un cadre qui organise lui-même et malgré lui sa propre fermeture, depuis les événements physico-chimiques les plus élémentaires jusqu’aux productions culturelles les plus raffinées. Certains appellent cela un destin !

Quant à la “mort de Dieu” et la “fin de l’Histoire”, elles apparaissent comme des péripéties d’une volonté qui traverse la nature en cherchant sa représentation entre jeu et contrainte, rêve et réalité, hasard et nécessité, chaos et déterminisme, néant et être.

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