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L'absolu systématique
6 février 2018

Ben trovato !

Il semble étonnant qu’à une époque où les astronomes scrutent le cosmos en quête d’une exoplanète comparable à la Terre, des créationnistes puissent encore trouver des arguments à l’appui de leur vision biblique du monde et de sa naissance entièrement mise entre les mains d’une divinité transcendante. Il est vrai que malgré son matérialisme et le recours au hasard pour évacuer toute idée d’intention dans la nature, la théorie de l’évolution peine à se débarrasser d’une singulière coloration de progrès dans la chaîne des êtres, donnant l’impression irrésistible d’un projet directeur. Par ailleurs, comment s’empêcher de confier à un principe supérieur le soin de donner un sens à sa propre existence ? De là à se prendre pour le sommet de la création, la crème de l’univers, la pente est rapidement glissante.

Religion et science sont tentées, chacun a sa façon par un même déterminisme. Ici aussi se vérifie le dicton qui veut que les extrêmes se rejoignent. Mais, alors que le mystique fataliste tire de ses ascèses l’intuition d’une cause finale, d’un alpha et oméga raison de toute chose, annihilant toute autre forme de connaissance, et ce faisant le moindre avenir sérieux pour la science, le scientiste, lui aussi fervent adepte d’une méthode rigoureuse, appliquée dans son cas au versant objectif du monde et de l’histoire, ne s’inquiète nullement de voir ses merveilleux mécanismes bien huilés tourner dans le vide. L’un méprise la réalité en la mettant sous le joug d’un fantasme tout puissant, l’autre castre son observation du réel en méprisant le rôle du fantasme. C’est ainsi que s’opposent la vision d’une création définitive, et celle d’une évolution sans fin.

Bien entendu ici aussi les extrêmes peuvent se rejoindre d’une autre manière : dans leur symétrie centrale. En faisant jouer a pari merito les deux temps de tout mouvement : l’assimilation et son accommodation, le noumène et son phénomène, la compétence et sa performance, la volonté de puissance et sa représentation, le génotype et son phénotype. On entre alors dans le mystère de cette dualité paradoxale qui fait le dynamisme de la créativité, des rétroactions biologiques aux conflits de conscience.

De ce point de vue, l’évolution concernant les espèces se présente comme le dialogue entre la variabilité génétique au fil des générations et une sélection naturelle sous la pression du milieu. Or, dès son avènement la vie a commencé à coloniser son environnement pour former un ensemble d’écosystèmes complexes. Ainsi les gènes se sont-ils peu à peu émancipés du milieu purement physico-chimique pour instaurer leurs propres règles du jeu. Celui-ci demeurait une loterie, mais son principe ne pouvait plus être aussi binaire que la démarcation entre vivant et non-vivant. La biodiversité a conduit à une telle profusion de boucles rétroactives que la survie ne concerne plus seulement le phénomène biologique, mais au sein de la biosphère les populations et les espèces, au gré de leurs relations d’interdépendance et de leurs chaînes alimentaires.

On peut toutefois, et cela attise une crainte nouvelle, soupçonner devant l’accélération de l’emprise de l’homme sur le reste de la nature n’aboutisse à une régression à l’alternative initiale. Car, il semble au prime abord que la technologie ne génère que destruction des ressources et appauvrissement de la diversité. Cela met notre espèce au rang des parasites, alors qu’on aurait préféré lui réserver celui d’aimable symbiote.

La faculté innée d’autocatégorisation qui conditionne les diverses facettes de l’identité sociale, dont chaque animal social se targue pour se positionner en société, comprend davantage qu’une conscience d’une appartenance à une famille, un clan ou une tribu, comme ce fut le cas pendant des millénaires. Cet automatisme psychosociologique peut aller aujourd’hui jusqu’à l’identification humaniste à l’humanité entière et dépasser ainsi le cadre de la nation, de la race ou de la religion, qui furent les références privilégiées pendant les derniers siècles On peut présumer que l’être humain est capable d’étendre sa conception du monde à l’ensemble des espèces qui l’accompagnent dans son aventure terrestre.

Il est évident que l’être humain ne saurait affronter les forces physico-chimiques sans l’intermédiaire amortisseur de tout le vivant. On ne peut qu’espérer que son fond animal renferme le potentiel qui lui fera faire les bons choix, un mécanisme autorégulateur “providentiel” ; en d’autres mots, qu’il soit capable donc d’une conscience écologique propre à le préserver de l’autodestruction.

En attendant, force est de remarquer que les gènes ont perdu leur toute puissance qu’ils exerçaient à l’origine sur la biosphère et ses formes de vie. Celle-ci s’exprime de plus en plus par ces phénomènes qui caractérisent les humains : leurs diverses formes de civilisation. Ce sont elles, avec leurs rituels, artefacts et autres “extensions phénotypiques” envahissants, qui façonnent de plus en plus le visage de la planète, inaugurant sans doute un nouveau palier, une nouvelle “ère inflationniste”, une nouvelle crise d’émancipation majeure, une sorte de crise d’adolescence, après l’âge édénique de l’insouciance et de la spontanéité naturelles. Mais bien sûr ce ne serait que le point de vue catastrophiste d’une évolution qui apparaît partout également et simultanément sous les signes complémentaires du saut et de la continuité.

Ainsi le génome humain a-t-il conduit à l’amplification de l’aptitude à communiquer, échanger et imiter connaissance et savoir-faire, laissant apparaître ce qui est impensable au niveau purement biologique : une hérédité des caractères acquis. Vous ne codez pas vos structures mentales par exemple dans vos gènes. Mais, dans la sphère collective, la tradition et la morale agissent comme une sélection naturelle, et la puissance imaginative comme un principe de variabilité, qui n’opèrent plus sur des populations, mais sur des idées et des pratiques. Les vertus encensées par les moralistes trouvent d’ailleurs leur “matrice” dans cette serviabilité méritoire dont fait preuve tout un chacun en engrangeant les apprentissages les plus profitables.

Ce qui apparaît comme une volonté aveugle dans la nature donne dès lors l’aspect de la stratégie et du projet. C’est bien sûr une vision de l’esprit, une autoperception rationalisante, qui permet un sentiment rassurant de contrôle et de cohérence, qui offre un sens intelligible à l’existence. C’est d’ailleurs à la terreur du néant, à l’intuition d’une faille fondamentale, d’une tyrannie de cette volonté aveugle chère à Schopenhauer, que l’on doit le besoin de se catégoriser qui sous-tend le phénomène social, et tout ce qu’il entraîne dans le domaine des représentations et des concepts. Or, cette objectivation de notre existence, si elle nous éclaire sur ce que nous sommes, ne nous apprend rien sur ce que nous cherchons au fond. Plus exactement, cette sorte de quête en filigrane du quotidien s’apparente à la poursuite d’une image d’appétence qui allie une soif inextinguible à un obscur et protéiforme objet du désir, qui se laisse entrevoir mais jamais atteindre vraiment. Aucune idéologie ne parvient à nous satisfaire définitivement à cet égard; même un vague principe anthropique paraît déjà abusif, ne parlons des diverses autres conceptions plus ou moins fantasmatiques de la transcendance.

Dans son erratique et pourtant indéniable fonctionnement, l’évolution semble autant contenir une finalité qu’employer le tâtonnement et le bricolage. Notre espèce en est un fruit parmi les autres, aléatoire et fragile, peut-être même éphémère au regard des millénaires, mais si merveilleusement “bien trouvé”, n’est-ce pas ?

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