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L'absolu systématique
5 février 2018

L’intuition de la nécessité

Entre la revendication du nirvana et le constat de son insuffisance, l’individu normalement constitué, qui “sait bien mais quand même”, est parvenu à force d’encouragements à aménager un espace de transition où s’interpellent séductions oniriques et épreuve de réalité. Sur cette scène de dialogue intérieur se joue son destin psychique ou du moins sa sociabilité, se façonne son “style de vie”. La formation de cette “fiction directrice”, comme on appelle l’idéal du moi, décide de son identité et par conséquent de son existence même en tant qu’acteur possesseur de son rôle. Chacun redoute instinctivement la situation inverse, si ce n’est perverse, où le masque colle à la peau, où la marge s’efface ; mais peut-être encore davantage un monde où aucun effort n’aurait de sens, aucun sacrifice, sauf, qui sait, le plus extrême, ne consentirait au bonheur.

Le preux chevalier multiplie les exploits en quête de consécration sur le chemin aventureux de la viabilité valeureuse, tandis qu’au sommet de sa tour d’ivoire se languit lascivement la princesse à la vertu farouche. De tels archétypes, correspondant aux âges et aux heures de la vie humaine, peuplent les coulisses du quotidien, en filigrane des activités ordinaires, tel un rêve diurne. Ils manifestent leur présence de mille manières plus ou moins bruyantes lorsque se baisse le rideau sur la conscience réflexive. Ils surgissent parfois, envoûtants ou effrayants, trahissant par là leurs racines physiologiques, de l’océan de l’inconscient collectif sur la scène de la réalité à l’occasion d’un amarrage significatif, ouvrant les écluses de l’énergie vitale, mobilisant l’enivrant désir de conquête, la fameuse et inquiétante volonté de puissance.

Relais ou prolongements culturels des ressorts biologiques, ces figures et scénarii d’une simplicité efficace car à la portée de toutes les âmes, transcendent les différences de culture et d’éducation Ils apportent à la stratégie génétique par trop impérieuse qui gouverne les comportements animaux la souplesse du “roseau pensant”, au risque d’égarer l’être dans les méandres d’une subtilité précieuse, de lui faire perdre le contact avec ses sources motivationnelles, jusqu’à l’imposture. Sans l’arrimage au fondement animal de l’affectivité, sans le soutien biologique de la force d’attachement, paramètres largement hors du contrôle de la volonté consciente (cette pointe infime de la volonté dans la nature), la personne devient son personnage, la face offerte au monde un masque figé, la figuration un dérisoire maniérisme, la sémiotique y perd toute référence au sensible.

De manière cyclique et plus ou moins catastrophique, l’idéal d’un temps cède à l’innovation, une théorie s’incline devant la nouvelle idée de génie, l’obsolescence démissionne devant la cordialité ou est renversée selon qu’elle s’auto-perçoit ou non dans le miroir d’un idéal supérieur : celui de l’harmonie dans le “passage du témoin”. La solidarité transgénérationnelle, par exemple, ne peut s’obtenir sans ce genre de méta-point de vue. De la même façon qu’on ne passe pas sans heurt d’un gouvernement à un autre dans un régime non pluraliste, mais d’une autocratie à la suivante.

Aussi absurde puisse-t-elle être dans l’absolu, une quête semble se préciser dans l’histoire de l’humain par le truchement d’idéaux qui s’imposent à lui du fond de son âme, comme des promesses de bonheur. Cette faculté de jouir des seules perspectives heureuses fait de lui un conquérant optimiste et naïf, prêt à donner l’assaut sur la foi de témoignages de seconde main, et, pour ce motif-même, régulièrement tourmenté par le doute et la méfiance. Car son cher idéal n’agit pas sur lui avec une douceur gratuite, il exerce un contrebalancement disciplinaire censé le rappeler au parcours fuyant de la réalité. Comme s’il ne suffisait pas de chercher l’essentiel, encore lui est-il recommandé de ne jamais se satisfaire que du provisoire. Ce genre de double exigence, si elle n’est pas dosée dans l’espace et dans le temps, si elle n’est pas distillée par intervalles adéquats, peut donner lieu à de troublants phénomènes dans le fragile athanor du psychisme humain : au mieux l’occasion de quelque exaltante sublimation, au pire le risque d’un malencontreux effondrement confusionnel.

Maman nature semble se moquer des dégâts collatéraux qu’entraînent ses bidouillages hasardeux ; elle parsème le monde de contradictions à profusion et ne craint pas de se nier elle-même. L’Homo sapiens sapiens n’en est-il pas la dernière et plus flagrante démonstration en date ? Elle donne pourtant l’irrésistible impression d’avancer… mais bon dieu vers quoi ? L’idéal met au défi de prolonger dans l’esprit une attitude en définitive tout ce qu’il y a de plus naturelle : la persévérance. L’intuition probabiliste de la nécessité.

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